"On sent que si on grandit, c'est pour s'en aller d'ici, ne plus jamais revenir"
Hélène MONETTE, Un jardin dans la nuit
Travailler les mots comme des billes à enfiler, des images à superposer, pour créer une toile, une surface aux textures nouvelles
Je l'ai reçue, la revue. Une enveloppe jaune gonflée, pleine de bulles de plastique. Laissée sur le balcon enneigé parce que trop volumineuse pour passer par la fente de la porte. À l'intérieur, ma revue. Ou du moins mon texte, un peu enfoui. Juste au milieu.
Le plan était lourd de boutons. Çà et là, des pivoines, immenses. Il fallait bien choisir et couper les tiges. Papa secouait les fleurs, tête en bas, pour que les fourmis tombent. Plus petite, j'aurais voulu agiter à mon tour ces baguettes singulières. Mais je n'étais plus petite. Et les fourmis avaient fait de mes pieds leur piste d'atterrissage. Accroupie dans l'herbe je les ai observées s'écraser sur ma peau alors que mon père, tiges en main, exauçait encore quelques vœux. Les fourmis ont cessé de voltiger. Papa a remis les fleurs à l'endroit. Nous les déposerions dans un joli vase - pas trop versant - dirait maman.
Au retour, la rue Marquette m'a fait du bien avec ces parterres inégaux, ses mauvaises herbes et ses tiges de pissenlits depuis trop longtemps envolés. Au détour d'un arbre, accroupies en bordure d'une clôture, deux fillettes aux robes soleil. «Ça sent les clochettes», a murmuré l'une d'elles. Sous leurs jupes gonflées de vent, un tapis de fleurs blanches. J'ai fermé les yeux. Du muguet.
Elles vendaient de la limonade. Sur le coin de la rue. S'étaient installées à une petite table. Avec leurs citrons bien pressés, leurs verres de plastique et une assiette de biscuits fraîchement sortis de leur emballage. "Pour ramasser des sous pour les enfants pauvres de l'Afrique. Et leur envoyer des petits animaux de compagnie". On ne pouvait que les encourager. Parce qu'à 7 ans, on aurait tant voulu. Nous nous sommes approchées. Avons commandé deux verres de limonade "s'il-vous-plaît" sans demander comment elles enverraient les petits animaux de compagnie là-bas. Mais il ne restait qu'un verre de limonade. Que la petite avait commencé à boire. "On peut partager si tu veux". Elle a versé la moitié de son verre dans un second verre. Déjà utilisé celui-là. Et nous avons dégusté le tout à petites gorgées. En prenant bien soin de ne pas avaler les pépins.«De sa fenêtre, en pyjama, Lou regarde le ciel. Elle pense aux belles de nuit et à Théo aussi.
Lou s'endort. Dans son rêve, les belles de nuit grimpent très haut. Elles emportent Lou et Théo jusqu'aux étoiles.»
*** Des nouvelles de Lou. Bientôt. ***

«Ton lit, perdu dans l'océan des livres dispersés, c'était notre refuge, un peu cabane de l'enfance, ou l'éternel radeau de ces naufrages imaginaires ... Je me souviens du temps qu'on a laissé passer dans l'île de ta chambre»
«Et puis, au fil des pages, on découvrait une maison, baignée de soleils d'hiver, et le bleu et le blanc dansaient sur des choses très simples»
«... comme une odeur de café chaud dans le désordre des couleurs, j'avais ma place au creux de ta cuisine»
«Ta voix glissait sur le silence. Je te regardais de dos: tes gestes lents dans la cuisine, avec la lampe boule en papier rose. Odeurs mêlées de citron, de cannelle, c'était toi dans le rose pâle d'une lampe de papier»La cinquième saison de Philippe Delerm : à lire
a b s o l u m e n t.

«... on est amoureux qu'à bicyclette»
Philippe Delerm
«Chez Philippe Delerm, le bonheur est indissociable de la mémoire, de cette lutte de tous les instants pour échapper au vide, à l’anonymat. Indissociable également du regard que nous portons sur notre vie, sur les gens qui la traversent, certains sans laisser de traces et d’autres qui en modifieront parfois le cours irréversiblement. Indissociable surtout de tous ces plaisirs minuscules qu'il sait si bien décrire»
«Beaucoup de gens dans ce monde habitent des maisons de briques et peuvent ignorer le monde extérieur. Mais mon esprit demeure sous les arbres, à ciel ouvert, reçoit directement les messages que lui apporte le vent, et, du fond de son être, répond à toutes les cadences musicales de la lumière et de l'ombre»Rabindranath Tagore, La maison et le monde
Chère Anna,
Je vous attendrais à la porte. Avec une robe légère et un bouquet de fleurs. Par la fenêtre, les oiseaux se seraient remis à chanter, la cigale sortirait des limbes. Le ciel serait bleu et vous arriveriez, un à un, comme un jour de printemps. Je vous attendrais. Et soudain, vous seriez là. Tous là.
Partons. J'ai mis ma robe fleurie. Avec les pétales mauves. Toi, ton chandail vert. Un arbre. Des feuilles. Partons. Devant, la route. Là-bas, l'horizon. Très loin, notre côte. Te souviens-tu.
"Dans la maison c'était au premier étage que j'écrivais, je n'écrivais pas en bas. Après j'ai écrit au contraire dans la grande pièce centrale du rez-de-chaussée pour être moins seule, peut-être, je ne sais plus, et aussi pour voir le parc"
Marguerite Duras - Écrire
Tu aurais cet espace juste pour toi. Un petit coin tapissé de tes images, une grande table, cette immense fenêtre et son rideau fleuri. Un lieu comme tu en aurais toujours rêvé. Une chambre à toi. Avec tes livres jusqu'au plafond et tes boîtes de papiers, de rubans et de brillants tout près, juste au cas.
Plus que quelques jours et ce serait les vacances. Dès lors, elle rangerait les livres au placard, ne garderait sur sa table que ses carnets et couleurs. Dès lors, la vie reprendrait son cours, les jours retrouveraient leurs heures. Il y aurait les promenades et les chocolats chauds, les réveils lumineux et les histoires, tard le soir. Plus que quelques jours et la neige et les fêtes seraient à elle, plus qu'à elle.
Alors que par la fenêtre, les blancs de l'hiver recouvraient le paysage, elle avait sorti de ses boîtes, de ses carnets, tous ses mots, tous ses traits, les avait étalés, papiers épars, sur le plancher.
Le printemps, puis l'été, reviendraient peut-être. Il suffisait d'y croire, de voir en la lumière l'augure de jours plus jaunes après les blancs de l'hiver. Elle avait conservé chez elle quelques brindilles bien sèches qu'elle tresserait en attendant le retour des matins mauves. Elle y glisserait de petits morceaux de tissus colorés, ceux de ses robes et de ses nappes, capturant ainsi entre les brins tous ses manques à voir, à toucher, à sentir, de la couleur subtile du vent de mai aux épis rougis par le soleil, soir d'août. Tout l'hiver, elle lisserait puis tirerait puis croiserait puis serrerait ses brindilles les unes contre les autres, y entortillerait ses petits bouts de printemps, puis d'été, jusqu'à ce que tout y soit, jusqu'à ce qu'il n'y manque plus rien. Alors, il ne resterait plus qu'à les accrocher, lourdes de leurs saisons, aux poutres du balcon pour que le vent froid les caressant, s'y réchauffe, étonné.
Tu tournoierais dans la brunante, striant le ciel de rainures d'or, tu tournoierais sans t'arrêter, yeux clos, lèvres scellées, tu tournoierais pour tous les autres, corps hélice, bras ailés, tu tournoierais à perte de sens, souffle court, cœur silence, tournoierais jusqu'à la fin, pour que le monde, tout autour, tournoierais jusqu'à la fin, pour qu'étourdis tombent les jours.
Il y aurait des lumières partout. L'Amoureux le lui avait promis.
Dans une semaine, en classe, il me faudra lire quelques textes de création. J'aimerais peut-être en piger un, deux, ou trois, ici et là sur ce blog. Et je me suis dit que vous pourriez m'aider à en choisir, qu'il serait bien de voir lequel ou lesquels vous ont touchés, marqués, fait plaisir.
Elle s'était éveillée, le cœur battant, comme lorsque toute petite, elle courrait, dès l'aube, vers le lit de papa et maman, pour se blottir entre leurs bras, puis déballer ses cadeaux avant même que le soleil ne se lève.
Au réveil, de jolies cartes, des mots doux de très très loin.
De nouveau ces matins, tout sourire, sous la couette, ces levers, pieds nus, dans la cuisine déjà lumière, ces longues marches sous le ciel pour aller, puis revenir ...
"Mon territoire est le matin. J'y reprends toujours pied, et la route repart"Paul Chamberland
"L'écrit ça arrive comme le vent, c'est nu, c'est de l'encre, c'est l'écrit, et ça passe comme rien d'autre ne passe dans la vie, rien de plus, sauf elle, la vie"
Marguerite Duras Écrire